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FO-SAVOIE

DISCRIMINATION

La preuve des discriminations en pratique

L’efficacité de l’interdiction des discriminations implique l’existence d’un régime probatoire aménagé qui puisse permettre au salarié victime d’une discrimination d’avoir des chances de voir sa discrimination reconnue.

L’entièreté de la preuve ne peut donc reposer sur le salarié.

Trois directives européennes [1] ont consacré un principe d’aménagement de la charge de la preuve qui a été ensuite repris par le droit français.

C’est ainsi qu’un principe général d’aménagement de la charge de la preuve en matière civile a été posé par l’article 4 de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations [2].

Dans le domaine des relations du travail, c’est l’article L 1134-1 du code du travail qui fixe le principe d’aménagement de la charge de la preuve [3].

Il faut également relever qu’il existe un texte propre à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (art. L 1144-1 du code du travail).

En quoi consiste le principe d’aménagement de la charge de la preuve ?

Il s’agit d’un fonctionnement en deux temps :

  • 1er temps : la personne qui s’estime victime d’une discrimination doit démontrer l’existence de faits laissant présumer qu’il existe une discrimination.
  • 2e temps : le défendeur, c’est-à-dire l’employeur, doit alors démontrer que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Est-ce plus facile pour le salarié ?

Oui, car si on appliquait les règles de droit commun (art. 1353 et s. du code civil et article 9 du code de procédure civile), selon lesquelles chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions, le salarié victime de discrimination aurait beaucoup de mal à apporter à la juridiction les preuves de la discrimination.
En effet, en raison même de la nature de la discrimination, c’est son auteur qui dispose le plus souvent des éléments pour la prouver.
Récemment, la Cour de cassation a même décidé l’extension de ces règles de preuve des discriminations aux procédures de référé, quand il s’agit d’établir un trouble manifestement illicite (Cass. soc., 28-9-17, n°16-10236).

S’agit-il pour autant d’un véritable renversement de la charge de la preuve ?

Non, car le salarié doit impérativement présenter un dossier complet avec des éléments précis et concordants  [4] qui feront présumer l’existence d’une discrimination.
Ces faits seront appréciés dans leur globalité par le juge [5].
Le salarié ne peut se contenter d’une simple allégation de discrimination.
Il doit obligatoirement produire un ensemble de faits suffisamment pertinents pour que le juge demande alors à l’employeur de se justifier par la production d’éléments objectifs.
S’il ne le fait pas, la demande du salarié sera purement et simplement rejetée sans qu’il soit nécessaire de passer à la seconde étape de justification objective par l’employeur.

Cet aménagement de la charge de la preuve existe-t-il aussi devant le juge pénal ?

Non. En matière pénale, la charge de la preuve repose sur le ministère public et/ou sur la victime car l’accusé bénéficie de la présomption d’innocence.
L’article 4 de la loi du 27 mai 2008 [6] précise que l’aménagement de la charge de la preuve dont bénéficie le salarié devant les juridictions civiles ne s’applique pas devant les juridictions pénales.
La chambre criminelle de la Cour de cassation l’a rappelé clairement dans une affaire de discrimination syndicale (Cass. crim., 11-4-12, n°11-83816).

Quels éléments le salarié peut-il apporter ?

En matière civile [7], comme en matière pénale [8], le salarié peut rapporter tous types de preuve : courriers, mails, SMS, témoignages, chronologie des faits, tests faits par la victime elle-même, panels de comparaison etc.
Cela peut être tout élément relatif à l’appréciation, à la quantification ou au contenu de son activité, par exemple, les évaluations professionnelles, les travaux réalisés, les mails au sein desquels il a été félicité pour son travail, les tableaux de répartition des tâches de l’équipe etc.

Toutes les preuves seront-elles recevables ?

Oui, mais devant le juge civil, ces preuves devront avoir été obtenues loyalement.
Toutefois, si le salarié a soustrait des documents dont il avait connaissance appartenant à l’entreprise mais strictement nécessaires à la constitution de son dossier pour obtenir le respect de ses droits, la chambre sociale, comme la chambre criminelle, de la Cour de cassation admettent la recevabilité de cet élément de preuve (Cass. crim., 11-5-04, n°03-80254 ; Cass. soc., 30-6-04, n°02-41720).

Le salarié peut-il produire des SMS ?

Oui, le SMS est, selon la Cour de cassation, une preuve écrite recevable (Cass. soc., 23-5-07, n°06-43209).

Le salarié peut-il fournir des témoignages ?

Oui, les témoignages sont recevables sous réserve qu’ils émanent de témoins directs, (c’est-à-dire de ceux qui ont vu eux-mêmes les faits) et qu’ils soient circonstanciés.
A noter qu’il existe une protection spécifique des témoins de discrimination (art. L 1132-3 du code du travail).

Le salarié peut-il enregistrer la conversation sur son smartphone ?

Cela ne sera pas admis comme une preuve loyale au civil [9] mais devant le juge pénal, toute preuve est admise.
Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a admis la validité d’un enregistrement audio à l’insu de la personne (Cass. crim., 31-1-07, n°06-82383 ; Cass. crim., 7-3-12, n°11-88118).
Pour la chambre criminelle, il s’agit d’un moyen de preuve comme un autre.

Le salarié doit-il faire une chronologie des faits ?

Oui, c’est indispensable.
La chronologie des faits entre dans le faisceau d’indices. La Cour de cassation l’a relevé en insistant sur le fait qu’elle permet de faire le lien entre la connaissance par l’employeur du critère de discrimination et la situation par laquelle la discrimination se manifeste.
Par exemple, dans une affaire, qui a donné lieu à un contentieux, la chronologie des faits faisait apparaître qu’un mois après avoir appris l’orientation sexuelle du salarié, son supérieur hiérarchique lui retirait un dossier, contrairement à la volonté du client, et qu’à peine 2 semaines après ce retrait, il l’avait convoqué à un entretien préalable à un licenciement pour faute grave.
La Cour de cassation a estimé que la concordance des actes relevée par la chronologie laissait supposer l’existence d’une discrimination (Cass. soc., 6-11-13, n° 12-22270).

Le salarié doit-il fournir un panel de comparaison ?

Il s’agit d’une étude comparée de la situation de la personne qui s’estime victime d’une discrimination avec d’autres personnes placées dans une situation similaire.
La comparaison permet alors d’établir la différence de traitement et ce sera à l’employeur de prouver que cette différence de traitement n’est pas liée à un motif prohibé.
La Cour de cassation a précisé que la différence de traitement établie par un panel de comparaison était suffisante pour exiger de l’employeur qu’il se justifie dès lors que ce panel ras-semble une pluralité d’éléments laissant présumer l’existence d’une discrimination (Cass. soc., 21-1-06, n°14-26698).
Pour être pertinent, le panel de comparaison doit inclure des salariés qui ont le même poste de travail, les mêmes qualifications et qui ont été embauchées à peu près à la même époque que le salarié victime de discrimination.
Cette utilisation du panel de comparaison a été validée par la Cour de cassation dans un arrêt Airbus du 15 novembre 2011 (Cass. soc., 15-12-11, n°10-15873).
Parfois, un seul fait (ex : participation d’un salarié à une grève), sera suffisant pour établir la discrimination sans qu’il soit nécessaire de fournir un panel de comparaison.
Mais le plus souvent, notamment quand il s’agira de démontrer le retard dans une évolution de carrière, le recours au panel de comparants sera fortement conseillé.

Comment obtenir les éléments de preuve suffisants pour construire un dossier en discrimination ?

Avant tout procès sur le fond, il est possible de faire un référé probatoire (art. 145 du CPC) pour obtenir les éléments manquants nécessaires, par exemple, à la constitution du panel de comparants (ex : niveau de diplôme, salaires, coefficients…).
Il n’y a pas de confidentialité dans la communication d’éléments nécessaires à la protection des droits. Le respect de la vie personnelle et le secret des affaires ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l’application de l’article 145 du CPC dès lors que le salarié en a besoin pour établir la discrimination (Cass. soc., 19-12-12, n°10-20526).
D’autres moyens existent pour obtenir la communication des éléments permettant de prouver la discrimination.
Il faut citer, notamment, l’exercice du droit d’alerte (art. L 2313-2 du code du travail), la sommation de communiquer les éléments devant le Bureau de conciliation et d’orientation (art. R 1454-1 du code du travail), la saisine de l’inspection du travail et du Défenseur des droits.
Ce dernier dispose de pouvoirs d’instruction importants qui peuvent s’avérer très utiles dans la constitution du dossier.
Il peut également rédiger des observations et être auditionné par la juridiction, ce qui, le plus souvent, sera déterminant pour l’issue du procès.

Notes

[1] Art. 8 de la directive « Origine », n°2000/43/CE du 29-6-00.
art. 10 de la directive « Pour l’égalité dans l’emploi », n° 2000/78/CE du 27-11-00.
art. 19 de la directive « Refonte », n°2006/54/CE du 5-7-06.

[2] Art. 4 : Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le fait que la victime ait seulement poursuivi l’objectif de démontrer l’existence d’un agissement ou d’une injonction discriminatoire n’exclut pas, en cas de préjudice causé à cette personne, la responsabilité de la partie défenderesse. Le présent article ne s’applique pas devant les juridictions pénales.

[3] Art. L 1134-1 : Lorsque survient un litige en raison d’une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de be-soin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

[4] Cass. soc., 3-4-02, n°00-42583 : Cass. soc., 20-5-08, n°06-45556.

[5] Cass. soc., 29-6-11, n°10-15792.

[6] Loi n°2008-496 du 27-5-08.

[7] Art. 1358 du code civil : La preuve peut être rapportée par tout moyen .

[8] Art. 427 du code de procédure pénale : Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve.

[9] Pour plus de précisions, voir les InFOjuridiques n°98, La preuve devant le juge prud’homal.

 

Article du secteur juridique de la confédération FO